L’angoisse des premières fois

Dans cette lettre, on parle des premières fois en écriture, de la difficulté à se sentir légitime d’être auteur et de comment réussir à concrétiser ses rêves d’enfants.
Cher lecteur, chère lectrice,
C’est idiot, mais je suis toujours nerveuse à l’idée de commencer quelque chose de nouveau. Même s’il s’agit simplement d’écrire sur un carnet tout neuf.
Ces derniers mois, j’ai entrepris beaucoup de nouvelles choses qui m’ont sorti de ma zone de confort : soumettre mon premier roman en maisons d’édition, envoyer mon manuscrit à une bêta-lectrice professionnelle, poster sur les réseaux sociaux, et, en l’occurrence, écrire mon premier article de blog.
C’est toujours à la fois excitant et angoissant de démarrer de nouvelles choses. Au commencement, on a toujours l’impression de… et bien… de faire de la merde. On avance à tâtons, en espérant que les gens likeront notre publication, ou liront notre article… Tout en sachant que, des mois plus tard, lorsque l’on retombera sur son travail, on se dira qu’on peut faire bien mieux maintenant, ou alors qu’on était bête d’en faire toute une histoire. Mais c’est normal, c’est le principe d’évoluer.
Alors, bienvenue et merci d’être présent pour cette première fois, et de prendre le temps de lire cet article. Avant sa sortie, je l’ai probablement encore relu et réécrit 18 fois, en me demandant si ça allait intéresser quelqu’un… Heureusement, ces doutes sont parfois entrecoupés de rapides passages (de quelques minutes) où j’ai l’impression que ce que j’écris est génial.
Mon prénom c’est Juliette (mais vous le savez sans doute déjà). Je suis autrice pour la jeunesse et les jeunes adultes. J’écris principalement des livres dans le genre de l’imaginaire et je viens de terminer mon premier roman. En octobre 2023, je me suis lancée sur les réseaux sociaux, enfin décidée à sortir de l’ombre pour parler de mon travail.
C’était la première étape : réussir à proclamer haut et fort que j’étais autrice, et que j’écrivais un livre pour les ados. En publiant pour la première fois sur Instagram, il a fallu oublier toutes les angoisses du style : « Que vont penser toutes les personnes que je connais, mes anciens camarades de classe du collège, ou du lycée, et mes anciens collègues ? ».
La deuxième étape, maintenant, c’est évidemment de partager mes écrits.
Dans la première lettre de mon journal, je voulais écrire sur ces premières fois, souvent difficiles, et plus particulièrement, sur les premières fois d’un auteur.
Quand se décide-t-on à terminer son premier roman pour de bon ? À se proclamer écrivain ? Quand met-on réellement la machine en route pour atteindre son objectif : vivre de ses écrits ? (Noter bien qu’évidemment, je sais que certains auteurs n’ont pas pour but ultime de vivre de leurs écrits).
Il existe des milliers d’articles, de livres, de vidéos, ou même de publications Instagram, qui prodiguent des conseils, plus ou moins pertinents, pour écrire un bouquin. Mais que se passe-t-il dans la tête d’une personne qui se lance enfin dans l’écriture de son premier roman ?

Comment se sentir légitime d’être écrivain.e ?
[Moment définition]
« Auteur = personne qui est à l’origine de quelque chose. »
Se présenter en tant qu’auteur, quand on n’a pas encore édité son livre et que personne ne nous connaît, c’est difficile. Entre le syndrome de l’imposteur et l’anxiété sociale : on se sent illégitime de se présenter de la sorte. Pourtant, la définition est claire : « personne à l’origine de quelque chose », et je suis bien à l’origine de quelque chose : mon roman.
Je souhaite raconter des histoires depuis aussi loin que je me souvienne. J’ai commencé à écrire mes premières brides de récits dès que j’ai su écrire, quand j’avais sept ans.
Ma toute première véritable idée, je m’en souviens encore très bien : c’était l’histoire de deux sœurs, qui voyageaient dans un monde parallèle fantastique. Un monde peuplé de créatures imaginaires, coincé à l’époque du Moyen-Âge. Un monde qu’elles devaient sauver d’une méchante reine. Pas très original ? Oui. Bon. J’avais sept ans.
J’avais élaboré une intrigue qui s’étalerait sur (au moins) sept tomes, en m’imaginant certaines scènes en boucle… mais sans jamais rien écrire véritablement.
Ce processus, je l’ai répété avec des centaines d’idées durant des années. Je remplissais des tonnes de cahiers de prémisses d’histoires, de descriptions de personnages, de scènes, de résumés d’intrigues… pourtant, aucun premier jet terminé en vue.
Qu’est-ce que je me disais ? « J’écrirai plus tard, là je suis trop jeune pour écrire un livre et être édité ». Ce qui était totalement faux, nous sommes d’accord. L’expérience vient quand on écrit, or je n’écrivais pas. Je préférais m’imaginer que mon premier livre serait automatiquement publié en maison d’édition, qu’il serait un succès, qu’il serait adapté en film… Je rêvais aux interviews que je donnerais. (Bon. J’avoue, je le fais encore, mais maintenant je me suis mise à écrire, alors j’ai le droit !)
Petite, j’avais moins de mal à raconter que je voulais devenir écrivain, et les adultes avaient probablement plus de facilité à l’accepter. Ils pensaient sûrement que ça me passerait (spoiler alert : ce n’est pas le cas). En primaire, j’en parlais à mes copines ouvertement, je leur faisais même lire certaines histoires, écrites et illustrées par mes soins…
… jusqu’à ce qu’une certaine réflexion s’ancre en moi.
En CM2 (a donc 10 ou 11 ans), je me revois dans la salle de classe, en pleine discussion avec mes camarades. Je ne sais plus pourquoi, mais chacun parlait du métier qu’il souhaitait faire plus tard. À l’époque, j’avais annoncé, le plus naturellement du monde : « Je veux être écrivaine ».
C’est la réponse de l’un de mes camarades qui m’a marqué : « Mais tu ne peux pas vivre du métier d’écrivain, il faut avoir un autre travail à côté ». Pendant des années, j’ai tellement repensé à cette idée qu’elle a fini par s’inscrire en moi. Aujourd’hui, je la trouve d’autant plus triste qu’elle provient de la bouche d’un enfant de dix ans. Avait-il donc déjà arrêté de rêver ?
Ensuite, peu de personnes ont sus que je voulais faire de l’écriture mon métier. J’étais marquée par cette idée un peu étrange : « C’est merveilleux d’écrire des livres, mais tu ne peux pas gagner ta vie en étant auteur ».
La seule solution que j’ai trouvée pour oublier ces préjugés, ces aprioris et faire abstraction du regard des autres, c’est d’être fière de mon travail. Mais pour ça, il fallait me mettre véritablement à écrire.

Qu’est-ce qui pousse un écrivain à arrêter de rêvasser et à se mettre à écrire ?
Récemment, j’ai publié une vidéo, sur Instagram et TikTok, où j’abordais vaguement le sujet, et racontais mon parcours d’autrice. J’ai été surprise du nombre de messages et de commentaires me disant qu’ils avaient plus ou moins le même parcours. Ça m’a fait chaud au cœur : je ne suis pas la seule à avoir passé plus de temps à rêvasser qu’à écrire, ouf !
Qu’est-ce qui m’a poussé, moi, à arrêter de rêvasser ?
Très honnêtement, il n’y a rien en particulier qui m’a poussé à enfin mettre la machine en marche, si ce n’est le temps qui passe et la pression de devoir faire quelque chose de sa vie.
Mais, il y a tout de même eu quelques étapes clefs…
Quand j’ai 16 ans, on est en plein dans l’ère de Wattpad, et des chroniques sur Facebook. Voir toutes ces personnes partager leurs histoires, ça m’aide à réaliser que je ne suis pas la seule à avoir ce rêve un peu fou. Et si moi aussi, je partageai mes écrits ?
Alors, j’écris plusieurs chapitres d’un roman, que je publie sur Wattpad. Une romance lycéenne clichée que je n’ai jamais terminée (je m’en excuse auprès de ceux qui me lisaient).
En 2017, je planifie et termine le premier jet d’un roman pour la première fois. C’est un roman pour adulte, qui aborde des sujets très compliqués, comme la dépression et la santé mentale. Un roman déprimant qui raconte l’histoire d’un trentenaire à la vie compliquée. Le premier chapitre commence par sa tentative de suicide. Pas très gai, n’est-ce pas ?
En 2021, je me décide enfin à abandonner ce roman déprimant qui n’avance pas. Les sujets sont trop durs pour moi, et le personnage principal m’horripile (encore plus lorsque je me rends compte qu’il n’est que la personnification de tout ce que je déteste chez moi).
Je me rends compte que je me suis trop éloignée de ce que je souhaitais véritablement écrire, et que je continuais ce roman seulement parce que je pensais que c’était ce que je DEVAIS écrire.
Pour me changer les idées, je décide de m’attaquer à une idée qui mûrit dans mon esprit depuis l’école primaire, que j’aime beaucoup, mais que je n’ai jamais développée. C’est une histoire fantastique, qui s’adresserait aux adolescents.
Et là, tout est plus simple : la construction du plan, l’écriture… je prends beaucoup plus de plaisir à tout ça.
Les premières fois s’enchainent. La première fois que j’ai un vrai premier jet qui tient la route. La première fois que je le fais lire à ma famille. La première fois qu’il est imprimé. La première fois qu’on me fait des retours sur mon travail. La première fois que j’envoie mon manuscrit en maison d’édition. La première fois que je reçois un refus…
La satisfaction et la fierté de terminer son premier livre sont des sensations fabuleuses. C’est la concrétisation de tous ses rêves d’enfants.
Quelle est la seule véritable chose dont on a besoin pour terminer un roman ?
Pour venir à bout de son roman, ou même de n’importe quel projet, SURTOUT, écrivez une histoire que VOUS avez envie de lire, s’il vous plaît. Écrivez votre roman, votre première publication Instagram, votre article… pour vous dans un premier temps. Les lecteurs viendront dans un second temps. Écrire pour soi, c’est le meilleur moyen pour être fier de son travail. Et être fière de votre travail vous aidera à affirmer haut et fort que vous êtes écrivain (même si vous n’êtes pas édité, oui, oui).
Juliette.

Merci de m'avoir lue !
Autrice pour la jeunesse et scénariste
