Le mythe de l’écrivain

Faut-il avoir du talent pour être écrivain, connaître l’intégralité du dictionnaire, ou être un génie de l’orthographe ? Dans cet article, on parle des idées fausses que la société se fait sur les auteurs.
Cher lecteur, chère lectrice,
C’est bien connu, pour être écrivain, il faut du talent. Les auteurs écrivent leurs livres d’une seule traite, sans revenir en arrière. Ils sont toujours inspirés et s’enferment dans leur bureau toute la journée, en sirotant un verre d’alcool pour les stimuler. Une fois le roman terminé, il est vendu à des millions d’exemplaires qui lui rapporteront une fortune.
Mouais. Nous ne sommes pas tous des Stephen King.
Ces clichés et ces stéréotypes sur les auteurs persistent encore actuellement, et bien que les mentalités évoluent, il me tenait à cœur de les déconstruire avec vous ici.
Car écrire, ça s’apprend. Écrire un roman est un travail laborieux. Tout le monde peut devenir écrivain, à condition d’être prêt à travailler et à apprendre le métier. Tout comme n’importe qui peut devenir médecin, pompier, ou ingénieur. Ces métiers s’apprennent. Le métier d’auteur, aussi.
L’écrivain dans notre société d’aujourd’hui
Quand j’avoue à quelqu’un que j’écris un roman, sa réaction est toujours étrange. Il est à la fois fasciné et vous considère comme un dieu (« waouh, moi je ne pourrais jamais faire ça »), tout en vous donnant l’impression que vous êtes un peu dingue, avec un supplément de pitié (« tu ne peux pas vivre de tes romans »). C’est une réaction très complexe, je ne peux pas faire mieux pour la décrire.
Évidemment, à ces gens-là, je ne dis jamais que je suis écrivain, mais plutôt que j’écris un roman, puisqu’apparemment, on ne peut pas s’autoproclamer écrivain, les autres doivent nous désigner comme tels. Mais c’est qui les autres ? Nos amis auteurs, les éditeurs, la société ?
En France, on a toujours du mal à accepter que les métiers artistiques soient de vrais métiers et qu’avoir du talent ne suffise pas. Qu’il faut aussi de la rigueur, de la détermination et du travail, beaucoup de travail.
Si les mentalités ont beaucoup évolué concernant les autres arts, l’écriture me semble être le seul métier créatif où l’on n’a toujours pas accepté le fait qu’il s’apprend. Pourtant, c’est le cas, au même titre que tous les autres. Vous ne demanderez jamais à un pianiste de savoir jouer du piano sans apprendre le solfège, non ?
Cette vision est bien typique de la France, au contraire de pays comme les États-Unis ou l’Allemagne qui ont une image bien plus professionnelle du métier.
Par exemple, aux États-Unis, ils ont des écoles de creative writing. Là-bas, ils enseignent les techniques narratives, la structure du récit, la création des personnages, le développement de l’intrigue, etc.
Chez nous, des formations indépendantes émergent, mais pour le moment, aucune école ne propose ce genre de formation. Et si c’est le cas, elles sont très peu reconnues, puisqu’on est persuadé que l’écriture ne s’apprend pas !
Déconstruire ces idées chez soi avant tout
Le plus embêtant je trouve avec cette vision, c’est que même les inspirants écrivains l’ont au début. Ce qui empêche sûrement beaucoup de gens de se lancer, persuadé qu’ils n’ont pas suffisamment de talent, ou en décourage beaucoup qui ne parviennent pas à terminer leur roman d’un coup. Alors, il faut d’abord déconstruire ces idées qui sont ancrées en nous, malgré nous.

Quand j’étais petite, je croyais évidemment que les écrivains s’installaient derrière leur bureau, qu’ils écrivaient leur livre du début jusqu’à la fin, d’une traite, puis que c’était terminé. Pas de relectures, de réécritures, de corrections. Alors, j’essayai de faire la même chose, mais ça ne fonctionnait jamais, et mes histoires dépassaient rarement le premier chapitre.
La première chose qui est venue un peu déconstruire cette idée est une remarque de ma mère : « Tu sais, je crois que les écrivains n’écrivent pas forcément leur histoire dans l’ordre, parfois ils laissent des chapitres de côté pour y revenir plus tard ». (Avec le recul, cette phrase est un mauvais conseil, essayez d’écrire un maximum dans l’ordre durant le premier jet, mais ce n’est pas le sujet.) En tout cas, ce conseil est le premier qui est venu fissurer ce mythe de l’auteur.
Ce qui m’a vraiment aidé à déconstruire ce mythe de l’écrivain, c’est mon intérêt pour le cinéma. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au scénario, j’ai découvert une tout autre vision de l’écriture. Mine de rien, dans le cinéma, on a une image beaucoup plus « scientifique » d’une histoire. J’ai découvert l’existence des structures narratives, notamment celle en trois actes. Et, peu à peu, j’ai déconstruit ce mythe, en lisant des articles sur la structure d’un récit, en achetant des livres sur le scénario, en écoutant des auteurs raconter leurs expériences… Je le déconstruis encore un peu tous les jours aujourd’hui, en réalisant que j’ai encore tellement de choses à apprendre.
Mais si moi je l’ai déconstruit, il n’en est pas de même pour tous mes proches, ou pour les personnes qui m’entourent au quotidien.
Il y a quelques mois, j’ai eu le droit à : « Mais si tu mets aussi longtemps à écrire ton livre, est-ce que tu es vraiment faite pour ça ? ». Sous-entendu, si on a le talent qu’il faut pour écrire un livre, l’exercice s’avère très facile et absolument pas laborieux.
C’est déjà compliqué de garder foi en soi et en son roman sans entendre ce type de réflexion, alors les ignorer et protéger sa confiance en soi peut s’avérer difficile. Après ça, j’en suis arrivée à me demander si tous mes amis, qui ne sont ni écrivains ni artistes, pensaient la même chose. Comprennent-ils le travail que représente un roman, ou pensent-ils que je me la touche depuis trois ans ?
Je crois qu’avec le temps, je commence à accepter qu’à part les autres auteurs, personne ne pourra réellement comprendre ce qu’est être écrivain.
Ouvrir les yeux sur les conditions du métier
L’écrivain écrit pour son plaisir personnel, car c’est un métier de passion. Ce n’est pas faux, mais il ne faut pas croire qu’écrire est toujours une partie de plaisir et que les mots noircissent le papier aussi facilement tous les jours. Mes séances d’écriture, c’est 40 % d’écriture et 60 % moi qui fixe le mur en étant perdu dans mes pensées.
Comme l’écrivain est censé écrire pour son plaisir et que c’est sa vocation, les gens sont dérangés à l’idée qu’il puisse avoir envie de tirer profit de son travail. Il y a cette grande tension en France, sur l’art et l’argent.
Personne ne veut payer les artistes pour leur travail, tout en étant à la fois persuadé que tous les artistes se font « la masse de thunes » avec leurs œuvres. (Si vous pensez ça, vous êtes stupides, désolés). Tout comme les gens sont persuadés que vous ne pourrez jamais gagner votre vie en étant écrivain, et en même temps, que vous devenez riches dès que vous êtes publiés. Des contradictions qui me donnent mal à la tête.
Il faut ouvrir les yeux sur les conditions du métier.
Auteur est un métier précaire.
Seule une minorité d’auteurs vivent de leur plume. Selon des études, une très faible proportion des auteurs en France parvient à vivre exclusivement de leurs romans. La majorité des écrivains exercent une autre activité professionnelle en parallèle.
En 2019, un rapport de la Société des Gens de Lettres indiquait que les revenus annuels moyens d’un auteur se situaient autour de 9 000 € par an (je pense que beaucoup d’auteurs sont bien en dessous de ce chiffre, mais soit). Pour que vous vous rendiez bien compte, le SMIC, à l’année, c’est 16 784,32 €. On est bien en dessous.
En règle générale, un auteur touche environ 8 % à 12 % du prix de vente hors taxe de son livre pour les éditions papier. (Donc entre 1 et 3 euros par livres).
C’est sans parler du statut d’artiste auteur, duquel dépendent les écrivains, qui ne leur apportent aucune sécurité. Mais je ne vais pas vous assommer avec ça, passons à quelque chose d’un peu plus fun…
Top 5 des pires clichés sur les écrivains

Comme j’étais curieuse, j’ai récolté les clichés sur les écrivains qui ressortent le plus.
N° 1 « Les écrivains sont toujours inspirés ». Les écrivains sont-ils constamment envahis par des éclairs de génie et des idées brillantes ? Pas vraiment. En réalité, il y a des jours où l’on passe sa matinée à fixer sa feuille blanche, sans que rien ne vienne.
N° 2 « Les écrivains ne font jamais de fautes d’orthographe, de grammaire, de conjugaison… ce sont des as de l’orthographe ». Croyez-moi, il n’y a rien de plus faux. Si je vous montrais mes brouillons, vous seriez scandalisés par les erreurs qui s’y trouvent. Mais faire des fautes, c’est normal. Et c’est pour ça qu’il existe le métier de correcteur !
N° 3 « Les écrivains deviennent riches grâce à leurs livres ». Comme je l’ai dit plus haut, beaucoup de gens croient que tous les écrivains gagnent bien leur vie grâce à leurs livres. En fait, très peu d’écrivains vivent exclusivement de leurs écrits.
N° 4 « Les écrivains ne peuvent pas vivre de leur métier ». Celui-ci vient contredire le précédent, la preuve que les gens n’ont aucune idée de quoi ils parlent, la plupart du temps.
N° 5 « Les écrivains ont une vie tragique ». Il y a un mythe persistant selon lequel les écrivains doivent souffrir ou avoir une vie tragique pour créer des œuvres significatives. Je ne pense pas que ce soit une condition nécessaire pour produire un bon roman.
Après tout ça…
J’espère que vous comprendrez qu’écrire est un métier qui demande de la rigueur et de la patience. Derrière chaque livre, il y a des heures de travail, de révisions, de moments de doute. Il est temps de se débarrasser des clichés et de reconnaître que, comme tout autre métier, écrire s’apprend. Même le talent, ça se travaille.
Juliette.

Merci de m'avoir lue !
Autrice pour la jeunesse et scénariste
